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Colloque de l’IPEA : Styles vs Ambiances, les enjeux pour les industriels et les distributeurs

  Publié le vendredi 1 août 2025,
par Sandrine Panossian-Kahn

Lecture 16 minutes

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Le 18 juin dernier, l’IPEA (Institut de Prospective et d’Etudes de l’Ameublement) a présenté les résultats de son étude consommateurs sur les styles. Cette enquête a été réalisée en mars 2025 grâce au soutien du CODIFAB auprès de 3 000 ménages. Compte-rendu.

  • Le consommateur a besoin d’aide pour se projeter.
  • La déco devient un pilier du style.
  • Seconde main et discounters gagnent du terrain.

Présenté le 18 juin dernier par l’IPEA (Institut de Prospective et d’Etudes de l’Ameublement) [1.1], les résultats de l’étude dédiée aux styles et aux ambiances dans l’aménagement intérieur a mis en lumière les défis que rencontrent les industriels et les distributeurs du meuble face à l’évolution des attentes des consommateurs français.

Une étude récente menée auprès de 3 000 ménages représentatifs –en termes d’âge, de types de logement (maison ou appartement), de statut d’occupation du logement (locataire ou propriétaire), de profession et des régions en France sans oublier l’âge du logement, la présence de baies vitrées dans le salon-séjour et la présence d’une cuisine ouverte sur le salon-séjour pour voir l’impact de l’architecture et de l’organisation de la maison sur les achats ainsi que la perception des styles– révèle des tendances profondes dans les comportements d’achat, les préférences stylistiques et les sources d’inspiration.

Un marché en mutation : entre désimplication et quête de sens

En 10 ans, la perception du meuble comme vecteur de style dans le salon a fortement reculé en France, contrairement à d’autres pays européens. Cette désaffection s’explique en partie par une déconnexion entre le vocabulaire professionnel et celui du consommateur. Lorsque ce dernier ne comprend pas les codes du style, il se désengage — notamment sur le plan budgétaire. La réalité augmentée et les outils de projection apparaissent alors comme des leviers essentiels pour réconcilier les intentions des marques et les besoins des acheteurs, notamment les plus jeunes.

Le magasin reste
la première source
d’inspiration

« Nous avons présenté au consommateur différents types de planches, explique Christophe Gazel, Directeur Général de l’IPEA,  afin qu’il puisse nommer le style de son logement. Le vocabulaire du consommateur n’est toujours pas celui du professionnel : si on ne lui explique pas les choses, il est perdu. Quand un consommateur est perdu dans la maison, son réflexe est automatique : c’est la désimplication budgétaire. Il est nécessaire d’expliquer les choses un peu mieux en s’aidant de la réalité augmentée qui permet au consommateur de se projeter : plus le consommateur est jeune, plus il faut l’aider car il n’a pas d’expérience ».

Le poids du vécu et des héritages

Plus de 25 % des ménages ne se reconnaissent pas dans les styles proposés [1.2]. « Ceux qui se reconnaissent le moins, continue Christophe Gazel, sont les seniors car leur intérieur n’est pas une planche tendance, mais c’est la vraie vie ». En effet, les seniors, souvent détenteurs de meubles hérités, adaptent leur intérieur au fil de leur vie, en ajoutant ou retirant des pièces. Le meuble devient alors un témoin de parcours, davantage qu’un choix esthétique figé. Ainsi, 44,3 % des répondants estiment que les meubles transmis influencent leurs futurs achats, et plus de 30 % les utilisent comme base de création d’ambiance.

« C’est une information importante pour les spécialistes de la configuration de l’habitat qui peut leur donner des idées pour que le consommateur puisse rajouter un produit auquel il tient pour ensuite voir comment les autres produits s’organisent autour puisque c’est sa vraie vie ». La valorisation du meuble ancien, comme par exemple la table de ferme en massif toute simple qui valait 200 € il y a cinq ans et qui est désormais revendue jusqu’à 800 € sur les plateformes de seconde main, confirme cette tendance.

Les styles qui émergent, ceux qui s’éteignent

Si des styles comme le charme romantique ou le nature scandinave restent populaires dans le séjour ou la chambre, d’autres comme l’ornemental oriental ou le chic art déco gagnent du terrain. À l’inverse, certains styles comme le Henri II peinent à se réinventer, bien que des éléments de matière ou de moulure puissent encore séduire. 

« Ce qui est intéressant, précise le Directeur Général de l’IPEA, c’est que sur tout le déroulé de l’étude, il se passe quelque chose sur la colonne charme romantique. Nous avons eu des années extraordinaires de charme romantique, puis cela s’est éteint un peu et cela revient. Dans l’univers de la cuisine, on constate la même chose pour les portes : on voulait des portes plates mais une partie des consommateurs demande de l’épaisseur et aussi des moulures sur le cadre. On se demande alors comment redonner de l’épaisseur, des moulures sur les portes. Ce charme romantique, c’est un travail de style et de bon dosage, et c’est encourageant car nous avons tous les outils pour enrayer la spirale de dégradation de valeur et recréer de la valeur sur le marché ».

Le salon-séjour reste l’espace le plus marqué stylistiquement, avec une forte présence du canapé comme pièce maîtresse. Les tendances actuelles se tournent vers des teintes claires et des lignes épurées, favorisant la luminosité et l’impression d’espace, en réponse à la réduction progressive des surfaces habitables.

À la question « Si vous deviez changer de style, quel serait le style ? » [1.3],  que ce soit pour le salon/séjour ou la chambre, le trio de tête reste inchangé : le style contemporain/design d’abord, suivi du nature scandinave et du charme romantique. Pour le salon/séjour, les trois premiers styles sont suivis par l’industriel simplifié, puis l’ornemental oriental qui a une vraie personnalité et enfin la réassurance du campagne rustique. Lorsque l’on introduit la notion de cuisine ouverte et de baie vitrée, le contemporain design reste le style idéal du consommateur mais des différences sont visibles en fonction de cette architecture.

« Par tranche d’âges, précise Christophe Gazel, le style idéal comprend des disparités importantes sur le nature scandinave ou l’ornemental oriental avec une préférence sur le campagne rustique pour les seniors et sur le contemporain design et l’industriel pour les plus jeunes. Sur le voyage ailleurs, il y a moins de réactivité du consommateur sur cette typologie de produit car il est un peu moins décisif dans ses choix. Le vintage reste pour les bobos et ne touche pas l’ensemble de la population française ». Pour la chambre, après le contemporain design et le nature scandinave, le charme romantique et l’ornemental oriental arrivent pour étoffer cet univers de la chambre.

« Nous voyons vraiment une marque très forte si on cumule les trois, analyse Christophe Gazel : on a un consommateur qui réclame du style dans cette pièce alors qu’on lui a vendu de la fonction essentiellement ces dernières années avec un produit extrêmement neutre ».

Quand le style 
de la maison n’est pas
compris, le client 
dépense moins

L’étude s’est également intéressée au style que le consommateur aimerait voir revenir. Le campagne provençal, à prés de 50 %, arrive en tête, suivi du moderne bois, du Louis Philippe et du Henri II [1.4].

« Les 20-39 ans plébiscitent le campagne provençal. L’histoire du marché du meuble sur une longue période nous apprend que plus le monde est difficile à l’extérieur et plus les consommateurs ont besoin de réassurance à l’intérieur. Quand au Henri II, il présente beaucoup d’épaisseur, ce qui intéresse une partie de la population qui présente une volonté de retrouver de la matière ».

Sources d’inspiration : le magasin avant les réseaux sociaux

« Presque la moitié des gens qui nous ont répondu se sont débrouillés par eux-mêmes, analyse Stéphane Larue, Directeur des études à l’IPEA, et n’ont pas consulté de sources particulières [1.5]. Se meubler et choisir le style de son logement, ce sont des étapes de vie, des choses qu’on ajoute, qu’on hérite, qu’on retire. Les consommateurs restent sur des méthodes d’inspiration traditionnelle et la première source d’inspiration est les magasins dans lesquels on va voir ce qui se fait pour s’en inspirer et créer le style chez soi ».

Viennent ensuite les médias traditionnels (journaux papier, presse spécialisées ou généraliste) et le bouche à oreille (amis, famille). Contre toute attente, les sources d’inspiration numériques arrivent en queue de classement. Les consommateurs privilégient les visites en magasin qui permettent une projection concrète. Les enseignes les plus consultées ou citées sont Ikea, But, Conforama, suivies de Maisons du Monde [1.6]. « En choix trois, nous voyons arriver les discounters comme Action ou Centrakor ». Ces enseignes dominent également en termes d’image inspirante, bien que la seconde main (Leboncoin, brocantes, Emmaüs) constitue une cinquième voie significative [1.7].

La presse spécialisée et les catalogues traditionnels conservent une certaine influence, surtout chez les 60 ans et plus, tandis que les réseaux sociaux comme Instagram, Pinterest ou TikTok séduisent davantage les jeunes générations.

Dans un contexte économique tendu, notamment à l’approche des élections présidentielles, les arbitrages budgétaires du consommateur seront cruciaux. Les acteurs du secteur devront redoubler d’efforts pour revaloriser le meuble non seulement par ses usages, mais aussi par son style. L’enjeu est clair : aider les ménages à se projeter, sans encombrer, en tenant compte de leur histoire, de leur architecture et de leur besoin de sens.

Déco, meuble, matériaux : les nouveaux marqueurs du style

Aujourd’hui, ce ne sont plus uniquement les meubles qui définissent un style, même s’ils représentent encore 59,6 % [1.8]. La décoration (40,2 %) s’impose fortement, menaçant parfois l’autorité des enseignes historiques. Effets de matière, couleurs dominantes, imitation bois dans le carrelage… le style se construit aussi dans les détails. « C’est une alerte stratégique, prévient Christophe Gazel : si ce sont les acteurs de la décoration à bas prix qui imposent les tendances, les enseignes d’ameublement risquent de perdre leur rôle de référent stylistique ».

Le salon est la pièce reine, « c’est lui qui drive l’organisation de la maison ». 71,4 % des ménages le considèrent comme l’espace le mieux décoré. La chambre, en revanche, reste souvent fonctionnelle (10,2 %), tout comme la cuisine qui n’est pas décorée (8,4 %). Ce constat influence directement la façon dont les enseignes doivent présenter leurs offres : mettre en scène, inspirer, proposer des univers…

Style ou ambiance : une frontière floue mais stratégique

Alors que le logement devient plus que jamais un refuge face à un monde incertain, les Français redécouvrent l’importance du style et de l’ambiance dans leur intérieur. Une enquête récente révèle un rapport profond, souvent intuitif, que les ménages entretiennent avec la décoration et l’architecture de leur lieu de vie.

Chez IKEA, lorsqu’un consommateur mentionne la rubrique "style", il fait spontanément référence aux mises en scène, aux ambiances. Plus qu’un simple mot, le style est un langage visuel qui permet à chacun de se projeter.

Lorsqu’on leur demande de qualifier leur style en un mot, les Français répondent "moderne", "contemporain", "scandinave", ou encore "naturel". Mais certains univers – comme le "charme romantique" ou le "campagne rustique" – restent difficiles à verbaliser, bien que très présents en termes de perception.

Par ailleurs, plus de la moitié des Français (53,2 %) ne fait pas de distinction entre style et ambiance, mais chez les plus jeunes, on observe une forte appétence pour un juste équilibre entre les deux. L’ambiance rassure, le style affirme une personnalité. Une tendance renforcée par les logements récents : cuisine ouverte, baies vitrées, volumes décloisonnés – l’architecture pousse mécaniquement vers des choix plus épurés, minimalistes et lumineux.

L’ambiance n’est plus
un décor, c’est un moteur
d’achat et le style, un reflet
de la personnalité

En effet, 94 % des logements de moins de cinq ans sont dotés d’au moins une baie vitrée.  Plus de 91 % combinent cuisine ouverte et ouverture sur l’extérieur. Ces choix architecturaux influencent directement la manière de meubler et décorer. Moins de murs, c’est aussi moins d’espace pour les meubles... sauf si ceux-ci se réinventent, avec des dos travaillés ou des fonctions de séparation.

« L’avenir dans la construction en France, poursuit Christophe Gazel, cela sera de moins en moins de construction neuve mais cela va être de la rénovation. On va avoir énormément de logements anciens qui vont être rénovés avec l’incorporation de baies vitrées et de cuisines ouvertes et cela va totalement réorganiser l’espace de notre parc à ce jour ». Et dans un monde en tension, le bien-être chez soi devient central. Tous âges confondus, les Français veulent se sentir bien chez eux. Une prise de conscience renforcée depuis le Covid, période durant laquelle les Français ont été confinés chez eux.

L’ombre des discounters et de la seconde main

En parallèle, le marché évolue rapidement. Les enseignes de vente en ligne comme Amazon ou les discounters comme Action, Gifi ou Centrakor grignotent des parts de marché, notamment sur les objets déco et les petits meubles. à la question « Quelle est l’origine principale de vos meubles actuels ? », Stéphane Larue constate que la bonne nouvelle est que l’on reste majoritairement sur des achats de mobiliers neufs au sein des ménages français. Pour autant, la seconde main s’installe durablement puisque 20 % des foyers mélangent neuf et occasion et 10 % achètent principalement d’occasion. Et cela touche toutes les générations. Leboncoin devient un acteur incontournable pour le mobilier rembourré ou les meubles de chambre.

Le logement français mute : plus ouvert, plus lumineux, plus hybride. « Au fil du temps, note Christophe Gazel, on perçoit l’évolution des logements : ceux de 50 ans et plus présentent une cuisine fermée et peu de baie vitrée, ceux entre 30 et 50 ans présentent une cuisine fermée et voient le développement des baies vitrées, et ensuite on voit le développement de la cuisine ouverte avec une majorité de baies vitrées ».

Les enseignes doivent s’adapter, non seulement dans leurs produits, mais dans la manière de raconter des histoires d’intérieur. Elles doivent repenser l’offre et réinventer la mise en scène. L’ambiance n’est plus un décor, c’est un moteur d’achat. Et le style, un reflet de la personnalité. C’est en articulant les deux que les marques parviendront à reconquérir l’espace – et l’esprit – des consommateurs.

Sandrine Panossian-Kahn