Femme engagée et dirigeante inspirante, Dominique Mignon incarne un leadership à la croisée des convictions environnementales et de la performance industrielle. À la tête d’Ecomaison, elle mène depuis plusieurs années une action concrète pour faire progresser l’économie circulaire en France Dans cet entretien, elle revient sur son parcours façonné par une sensibilité précoce à l’écologie, les défis rencontrés en tant que femme dans un univers encore masculin et sa vision d’un avenir durable où réemploi et sobriété deviennent la norme.
- Des racines familiales et une forte sensibilité à l’environnement.
- Être une femme dirigeante : incarner un projet clair.
- La diversité des profils est un moteur d’innovation et d’agilité.
L’Officiel des Cuisinistes - Pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel et nous expliquer pourquoi vous avez choisi cette profession ?
Dominique Mignon [1.1] - J’ai toujours eu une sensibilité forte aux enjeux environnementaux. Cela vient sans doute de mes racines familiales : j’ai grandi dans l’exploitation agricole familiale, en bord de mer, où les enjeux de pollution des cours d’eau, notamment les nitrates, étaient déjà très présents. Cela m’a conduite à m’orienter vers une formation scientifique, complétée par un master en étude d’impact et environnement. J’ai toujours vu ma carrière comme un terrain d’engagement : je suis une bâtisseuse, passionnée par les projets qui font avancer concrètement la transition écologique mais dans un équilibre entre l’industrie et l’environnement.
Je considère que la protection de l’environnement et des ressources ne peut pas se faire au détriment des entreprises et de l’emploi. Être à la tête d’Ecomaison, c’est à la fois une chance et une responsabilité forte, car nous sommes au carrefour de nombreux acteurs – industriels, collectivités, citoyens – pour accélérer l’économie circulaire au bénéfice du citoyen mais aussi au bénéfice des industriels et des distributeurs qui savent innover et se démarquer dans ce domaine.
O.C. - Avez-vous constaté des changements dans la perception des femmes dans des rôles de leadership au cours de votre carrière ?
D.M. - Oui, indéniablement. Lorsque j’ai commencé, il fallait souvent "prouver plus" que ses homologues masculins. Mais, j’ai aussi vu les lignes bouger, lentement mais sûrement. Aujourd’hui, on attend d’un leader qu’il soit engagé, visionnaire et qu’il sache prendre des décisions. On attend aussi du leader qu’il soit à l’écoute. Cette évolution valorise des qualités que beaucoup de femmes exercent naturellement.
Être à la tête d’Ecomaison,
c’est à la fois une chance et
une responsabilité forte
Et je veux dire à toutes les femmes ce que je dis à mes deux filles : ne vous excusez pas d’avoir une parole forte, ne vous cachez pas, cultivez l’écoute totale et la sérénité, acceptez de prendre des risques. Dans dix décisions que l’on prend il y a neuf de bonnes, il faut l’accepter. Il y a encore des progrès à faire, mais la mixité n’est plus un sujet marginal, c’est un levier de performance reconnu.
O.C. - Avez-vous rencontré des défis spécifiques en tant que femme dans votre domaine ?
D.M. - Oui, comme beaucoup de femmes, j’ai parfois dû composer avec des attitudes légèrement condescendantes ou des environnements très masculins. J’ai appris à ne pas me laisser impressionner, à garder le sourire, rester droite sur mes convictions, tout en restant souple et acceptant de me remettre en question. Être une femme dirigeante, ce n’est pas jouer un rôle, c’est incarner un projet clair et être imprégnée d’engagements forts, faite de principes, de bienveillance et de pugnacité.
O.C. - Avez-vous eu des mentors ou des modèles qui vous ont soutenue dans votre carrière ?
D.M. - Plus que des mentors au sens classique, j’ai croisé des personnalités inspirantes – des femmes et des hommes – qui m’ont fait confiance et confié des responsabilités. Quand on rencontre des personnalités, on doit être comme une éponge et prendre tous les conseils avec gourmandise et grande attention. J’ai aussi toujours eu le souci de créer des alliances et de rechercher des compromis et des équilibres. C’est essentiel pour faire avancer des projets d’intérêt général, comme ceux portés par Ecomaison, d’avoir le sens de la concertation et des intérêts partagés avec nos parties prenantes.
O.C. - Quels atouts une femme peut-elle apporter à des postes de direction ? Les femmes sont-elles plus sensibles à l’économie circulaire ?
D.M. - Les femmes ont souvent une grande capacité à déployer une vision stratégique parce que je pense qu’elles ont de l’intuition et du pragmatisme du quotidien. Dans un secteur comme l’économie circulaire [1.2], qui touche à la transformation concrète des pratiques, cette double compétence est précieuse. Je ne dirais pas que les femmes sont plus sensibles par nature, mais elles ont sans doute un intérêt naturel pour les projets qui ont du sens et elles sont souvent prêtes à remettre en question les modèles établis – ce qui est indispensable pour innover.
Cultivez l’écoute totale
et la sérénité, acceptez
de prendre des risques
J’ai la conviction aussi que les femmes s’expriment avec sincérité et transparence, ce qui permet de créer les conditions favorables au dialogue et à la concertation dans nos métiers qui touchent à l’intérêt général. Le savoir-être a une grande importance également et je pense que les femmes ont souvent l’humilité qu’il faut pour nos missions.
O.C. - Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui envisagent une carrière dans votre domaine ou dans des postes de direction ?
D.M. - Soyez ambitieuses, assumez votre place, ne vous excusez pas d’être visible. Jamais. J’ai rarement vu un homme se demander s’il est légitime ou trop présent. N’attendez pas qu’on vous donne la place. Osez dire "je ne sais pas" quand c’est le cas, et "j’ai une idée" quand vous en avez une. Entourez-vous bien et, surtout, restez alignées avec vos valeurs. Le monde professionnel a besoin de profils engagés, sincères, capables d’embarquer les autres dans une dynamique positive, tout en restant à l’écoute et bienveillantes à l’égard de ses collaborateurs et partenaires professionnels.
O.C. - Y a-t-il beaucoup de femmes chez Ecomaison ? Sont-elles bien représentées ?
D.M. - Oui, Ecomaison est une structure paritaire où les femmes sont bien représentées à tous les niveaux, y compris dans les fonctions de direction et les comités stratégiques. C’est une richesse. Nous croyons profondément que la diversité des profils – genre, âge, parcours – est un moteur d’innovation et d’agilité.
O.C. - Comment envisagez-vous l’avenir du réemploi et du recyclage des objets et matériaux de la maison ?
D.M. - L’avenir est clairement au réemploi et à l’optimisation des ressources. Nous devons sortir du modèle linéaire du "fabriquer-consommer-jeter". Ecomaison s’y emploie activement depuis quatorze ans. L’an dernier, nous avons collecté 1,7 million de tonnes d’objets, valorisés à 97 % [1.3]. Notre mission [1.4] consiste notamment à déployer des solutions concrètes pour rapprocher les citoyens et les professionnels des bons gestes : 12 000 points de collecte, des fonds pour le réemploi et la réparation, des partenariats avec des structures de l’Économie Sociale et Solidaire... C’est une dynamique irréversible et je tiens à souligner que nos adhérents fabricants et distributeurs nous challengent beaucoup pour qu’on accélère avec l’économie circulaire de leurs produits. Il y a une véritable accélération depuis plusieurs années.
O.C. - Le secteur de la cuisine est-il plus réceptif au développement durable ?
D.M. - Je le crois, oui. La cuisine est une pièce centrale de la maison et un secteur majeur de l’ameublement. Ses acteurs sont moteurs en matière d’éco-conception, notamment sur l’incorporation de matières recyclées, bois comme plastiques. Ils sont aussi parmi les plus avancés sur les plans de prévention. Chez Ecomaison, nous travaillons avec l’ensemble des fabricants et distributeurs du secteur pour construire un modèle plus sobre, plus circulaire et plus durable.
Sarah Jay De Rosa